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Voyages au bout des rêves

 Chers passionnés d'alpinisme, vous qui rêvez de parois sauvages et de défis où chaque prise est une victoire, laissez-moi vous plonger dans les détails de la première ascension de la face ouest de l'Ushba, une prouesse réalisée en 1935 par une équipe allemande dont faisait partie Ludwig "Wiggerl" Vörg. Située dans le Caucase, à la frontière entre la Géorgie et la Russie, l'Ushba, avec ses 4 710 mètres, est un géant double au profil acéré, surnommé la "Matière du Caucase" pour sa beauté impitoyable. Sa face ouest, une muraille de 2 133 mètres de dénivelé, est un labyrinthe de glace, de rocher instable et de corniches traîtresses, défiant les grimpeurs par son isolement et ses conditions extrêmes. Cette ascension, un exploit technique et physique, reste un jalon dans l'histoire de l'alpinisme, révélant la ténacité et l'ingéniosité face à la nature indomptée.

L'expédition de 1935 fut orchestrée par un trio audacieux : Peter Aschenbrenner, Erwin Schneider et Ludwig Vörg, tous membres de la section munichoise du Deutscher Alpenverein, épaulés par des porteurs locaux. L'Ushba, avec ses deux sommets – le sud (4 710 m) et le nord (4 695 m) reliés par une arête effilée – avait déjà été gravi par sa face sud en 1888 par John Garford Cockin et Ulrich Almer, mais la face ouest restait vierge, un défi que les Alpes ne pouvaient égaler. Le 10 août 1935, ils s'élancèrent depuis le village de Mestia, base d'une région où les routes n'existaient pas encore, transportant un équipement rudimentaire : cordes de chanvre, pitons rares, piolets légers et vêtements de laine, sans les crampons modernes ni les protections sophistiquées d'aujourd'hui. Leur approche les mena à travers des vallées verdoyantes jusqu'au glacier de Chalaadi, où la face ouest se dressait, un mur vertical ponctué de couloirs de neige et de dalles de granit fissuré, exposé à des vents violents et à des avalanches imprévisibles.
Les premiers jours furent une lutte contre l'altitude et la logistique. Ils établirent un camp de base à 2 800 mètres, puis un camp avancé à 3 500 mètres, sous une corniche instable. Le 12 août, l'ascension débuta réellement, avec Vörg en tête pour son expérience des bivouacs et sa maîtrise des terrains mixtes. La première difficulté fut un couloir de neige à 55 degrés, où les crampons – absents – auraient été un luxe ; ils taillèrent des marches à la main, progressant à un rythme d'escargot sous un soleil brûlant qui fondait la glace. Une dalle de granit lisse, longue de 200 mètres, les défia ensuite, nécessitant des passages en libre sur des prises exiguës, avec des protections minimales – un piton tous les 15 mètres, parfois moins. Aschenbrenner, alpiniste aguerri, guida ici, utilisant une technique de pendule audacieuse pour franchir une section surplombante.
La nuit tomba, imposant un premier bivouac à 4 000 mètres, sur une vire étroite taillée à même la paroi. Sous un froid mordant, avec des températures descendant à -15°C, ils s'abritèrent derrière une toile légère, se relayant pour creuser la neige et éviter les chutes de pierres. Vörg, surnommé le "Roi du Bivouac", excella ici, organisant les cordes et rationnant les vivres – pain dur, fromage et thé glacé – tout en veillant sur ses compagnons. Le lendemain, 13 août, ils affrontèrent une goulotte de glace noire, longue de 300 mètres, où la pente atteignait 60 degrés. Schneider, ingénieur et grimpeur méthodique, planta des pitons avec une précision d'orfèvre, tandis que Vörg, malgré une main gelée, taillait des marches, sa respiration formant des nuages dans l'air raréfié.
Le troisième jour, 14 août, les conditions empirèrent. Une tempête de neige éclata, réduisant la visibilité à quelques mètres et transformant la paroi en piège glissant. Ils progressèrent en cordée serrée, Vörg assurant les autres sur une arête cornichée, un passage où un faux pas aurait signifié une chute de 1 000 mètres. À 4 600 mètres, ils découvrirent un surplomb de 15 mètres, un obstacle final qu'ils escaladèrent en A0, utilisant des pitons comme points d'appui. À 17 heures, après huit heures de combat acharné, ils touchèrent le sommet sud, épuisés mais victorieux. La descente, via l'arête sud, fut un calvaire de 12 heures, sous des bourrasques qui menacèrent de les arracher à la montagne. Ils regagnèrent le camp de base le 16 août, marqués par le froid et les écorchures, mais portés par l'euphorie d'une conquête inédite.
Cette ascension, cotée AD+ à D avec des passages en III et IV sur rocher et 60 degrés en neige/glace, fut un triomphe de l'endurance et de l'adaptation. Elle établit Vörg comme un maître des bivouacs et des terrains extrêmes, un savoir-faire qu'il appliqua sur l'Eiger en 1938. Les leçons sont claires : la préparation rigoureuse – choix des compagnons, étude du terrain – est le premier ancrage ; la résilience face aux intempéries transforme l'échec en victoire ; et la solidarité, comme les cordes qui les unirent, est le fil qui sauve du vide. Que cette épopée vous inspire, grimpeurs, à affronter vos propres Ushba avec audace et humilité.


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