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Ugo Tizzoni, Gino Esposito, Riccardo Cassin


L’éperon Walker avait ouvert une porte, et la vie allait se charger d’écrire le reste de cette aventure humaine.
Ils sont trois silhouettes qui disparaissent dans la lumière de l’été 1938. La paroi du Walker est derrière eux, mais la vie, elle, les attend en bas, avec ses orages plus longs que ceux des montagnes.
Riccardo Cassin
Cassin rentre à Lecco, auréolé de gloire. Mais bientôt la guerre éclate, et l’alpiniste devient partisan. Il organise des groupes, guide des hommes, comme il l’avait fait dans la tempête. En 1945, il retrouve les cimes, les mains encore calleuses, mais son regard plus grave. Puis viennent les expéditions lointaines : le McKinley en Alaska, le Jirishanca au Pérou, le Gasherbrum IV. Chaque fois, il est chef de cordée, mais aussi père, car à la maison l’attend Anna, sa femme, et bientôt trois fils. Il gagne sa vie comme entrepreneur et concepteur de matériel d’alpinisme – ses pitons et ses harnais révolutionnent la sécurité. Il vit plus d’un siècle. Le 6 août 2009 – exactement soixante et onze ans après le sommet du Walker – Riccardo s’éteint à 100 ans. Sa famille et tout le monde de la montagne l’accompagnent comme un patriarche. Sa vie fut une leçon de ténacité : rien n’est plus fort qu’un cœur obstiné.
Gino Esposito
Gino, lui, n’aimait pas la lumière des projecteurs. Après le Walker, il poursuit ses courses dans les Alpes, mais refuse les expéditions lointaines. Il choisit une vie plus discrète, partageant son temps entre son travail – artisan puis technicien – et ses courses dans les Dolomites. Marié, père de famille, il transmet la passion à quelques jeunes de sa région. Ses enfants se souviendront de son humilité : « Votre père a fait partie de l’une des plus grandes ascensions de tous les temps, et pourtant il n’en parlait jamais. » Gino meurt en 2003, à 88 ans. Son héritage est silencieux, mais solide comme le granite des parois qu’il a gravies : on ne vit pas pour les journaux, mais pour la fidélité à ses compagnons et à ses proches.
Ugo Tizzoni
Ugo, le plus jeune de la cordée, poursuit lui aussi l’alpinisme. Après la guerre, il devient enseignant, métier où la patience et la rigueur d’une cordée trouvent un écho. Il fonde une famille, transmet des valeurs de discipline et de courage à ses enfants. Dans ses souvenirs, la Walker revient souvent : non comme un exploit, mais comme une école d’endurance. Il dit parfois à ses élèves : « Si tu crois que c’est trop dur, pense qu’il y a toujours un pas de plus possible. » Ugo s’éteint en 1980, à 67 ans, d’une maladie foudroyante. Ses proches gardent de lui l’image d’un homme solide, qui souriait rarement, mais dont chaque mot avait le poids d’une montagne.
La cordée s’est dissoute, mais la montagne, elle, ne les a jamais quittés. Trois vies, trois destins : le héros célébré, l’ami discret, le maître silencieux. Leur ascension commune, en août 1938, resta comme un fil invisible reliant leurs existences. Ils n’ont pas seulement gravi une paroi : ils ont donné à ceux qui viendraient après eux une leçon de vie – l’impossible cède toujours à l’endurance.


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