Ivano Ghirardini et la Première Trilogie Solitaire et Hivernale des trois plus célèbres faces Nord des Alpes, Hiver du 21 décembre 1977 au 20 mars 1978.
Voici un article détaillé, passionnant et documenté, comme un roman, sur l'incroyable enchaînement d'Ivano Ghirardini, qui a marqué l'histoire de l'alpinisme avec sa première trilogie hivernale solitaire des faces nord.
Le Roi de l'Hiver : Ivano Ghirardini et la Première Trilogie Solitaire des trois plus célèbres faces Nord des Alpes: Cervin, Grandes Jorasses, Eiger (Hiver 1977-1978)
L'hiver 1977-1978 ne fut pas un hiver comme les autres. Pour les Alpes, ce fut une saison de fureur et de glaces, ponctuée de courtes accalmies trompeuses. Pour un homme, ce fut l'arène d'un exploit qui allait redéfinir les frontières du possible en alpinisme. Cet homme, c'était Ivano Ghirardini. Pas encore 25 ans, mais déjà un vétéran des solitudes glacées, il s'apprêtait à graver son nom au panthéon des légendes en réalisant la première trilogie hivernale solitaire des faces nord du Cervin, des Grandes Jorasses et de l'Eiger.
Ivano Ghirardini : Un Jeune Prodige à la Volonté d'Acier
Qui était ce jeune homme capable de défier les mythes ? Ivano Ghirardini n'était pas un novice. Derrière son visage encore juvénile se cachait une expérience vertigineuse, accumulée dans les solitudes les plus rudes des Alpes. Il avait déjà à son actif des premières solitaires hivernales audacieuses, comme celle de la face nord directe des Aiguilles de Chambeyron ou de la face nord de l'Aiguille Pierre André. Surtout, en mars 1975, il avait stupéfié le monde en réalisant la première solitaire hivernale du "Linceul" aux Grandes Jorasses, un mur de glace de 800 mètres.
Mais le Cervin lui avait laissé un goût amer. En janvier 1977, un mois avant l'exploit d'Hasegawa, il avait déjà tenté la voie Schmid en solo hivernal, parvenant jusqu'à l'épaule, à seulement 400 mètres du sommet, avant qu'une tempête d'une violence inouïe ne le contraigne à un renoncement déchirant. Cette défaite, loin de le briser, avait aiguisé sa détermination. Il portait en lui la certitude que ces "trois problèmes" – Cervin, Jorasses, Eiger – étaient faits pour être enchaînés par un seul homme, en solitaire, en un seul hiver.
Acte I : Le Cervin, 9 Heures de Vitesse Fulgurante (21 Décembre 1977)
L'hiver n'avait pas encore pleinement déployé sa puissance lorsque, le 21 décembre 1977, Ivano Ghirardini se présente au pied de la face nord du Cervin. C'était un rendez-vous manqué moins d'un an plus tôt, une revanche attendue. Le froid était vif, mais une courte accalmie météorologique offrait une fenêtre, une invitation à l'audace.
Ghirardini ne perdit pas un instant. Son corps, un instrument parfaitement réglé, connaissait déjà chaque mouvement de la voie Schmid. Il s'élança, non pas avec la prudence calculée d'une première, mais avec la vitesse et l'assurance d'un prédateur. Il volait sur la paroi, ses piolets et ses crampons mordant la glace et le rocher avec une précision chirurgicale. Les passages techniques, les dalles glacées, les dièdres rocheux s'effaçaient sous son implacable progression. Il double au passage clé de la voie une cordée de 4 alpinistes écossais qui le regardent passer sans le moindre assurage.
En seulement 9 heures, une performance d'une rapidité inouïe, pour l'époque, Ivano Ghirardini était au sommet. C'était la deuxième solitaire hivernale de la voie Schmid, mais surtout, pour lui, le premier jalon d'un défi bien plus grand. La défaite d'un an auparavant était effacée, remplacée par un sentiment de maîtrise absolue. Il redescendit dans la nuit, un sourire intime sur les lèvres, le premier verrou de la trilogie brisé.
Acte II : Les Grandes Jorasses, l'Éperon Croz, l'Hiver et le Vide (Début Janvier 1978)
À peine le temps de se reposer, de se refaire une âme dans la chaleur d'un foyer, qu'Ivano était de nouveau à l'assaut. Début janvier 1978, c'était au tour des Grandes Jorasses, le Léviathan de granit et de glace. Cette fois, il visait l'Éperon Croz en face nord, une ligne d'une complexité technique redoutable, un mélange exigeant de roche raide et de placages de glace.
L'hiver avait durci. Le froid était plus pénétrant, les jours plus courts, et les fenêtres météo plus étroites. Ghirardini s'engagea dans le Croz avec la même détermination, mais avec une autre stratégie. Le terrain était plus varié, demandant plus d'adaptabilité. Il alternait les sections d'escalade pure en rocher, souvent à mains nues sur des prises gelées, avec des passages en glace technique. Le vide, omniprésent, donnait le vertige, et la solitude, une compagne de plus en plus familière, amplifiait chaque sensation.
Il lutta pendant plusieurs jours, bivouaquant dans des conditions extrêmes, tirant des longueurs dans la pénombre, remontant à l'aube sur des parois couvertes de givre. Le Croz se défendit avec acharnement, mais la volonté d'Ivano était inébranlable. Il atteint le sommet, réalisant la première solitaire hivernale de cette voie exigeante. Les Jorasses s'étaient rendues à sa persévérance. Deux des trois problèmes étaient conquis.
Acte III : L'Eiger, La "Face de la Mort" et la Consécration (Début Mars 1978)
Le printemps commençait à murmurer dans les vallées, mais en haute montagne, l'hiver tenait encore fermement son empire. Début mars 1978, Ivano Ghirardini se tenait au pied de la plus tristement célèbre des faces : la face nord de l'Eiger. La "Face de la Mort", " l'ogre", avec son histoire sombre et ses milliers de mètres de rocher délité, de glace fuyante et de tempêtes subites, était le dernier verrou.
Il s'engagea avec la conscience du poids de l'histoire, mais sans l'ombre d'une hésitation. L'Eiger offrit son lot habituel de difficultés : des passages en rocher friable où chaque prise était un pari, des traversées exposées balayées par le vent, des vires menaçantes. Les courtes accalmies laissaient place à des moments de chaos où la neige et les spindrifts dévalaient la paroi comme des avalanches miniatures.
Mais Ghirardini avait l'expérience de ces combats. Il avait la maturité d'un homme qui avait déjà négocié avec la mort à de multiples reprises. Il était un maître dans l'art de la survie en paroi, capable de s'adapter, de trouver la solution, d'avancer quand tout semblait perdu. Jour après jour, mètre après mètre, il gravissait la paroi, son petit point rouge se déplaçant avec une obstination méthodique sur l'immense façade grise.
Et finalement, après des jours d'efforts surhumains, Ivano Ghirardini atteignit le sommet de l'Eiger. Il leva son piolet non pas dans une explosion de joie, mais dans le silence respectueux d'un homme qui venait d'achever une quête. Il était le premier, et reste à ce jour le seul, à avoir réalisé la trilogie hivernale solitaire des trois grandes faces nord des Alpes : Cervin, Grandes Jorasses, Eiger.
Cet hiver-là, celui de 1977-1978, Ivano Ghirardini, à moins de 25 ans, avait non seulement repoussé les limites de l'alpinisme, mais il avait aussi écrit un chapitre indélébile sur la résilience humaine, la puissance de la volonté et la beauté tragique de l'engagement solitaire en haute montagne. Son nom restera à jamais gravé dans la glace et le rocher de ces géants.

Une question immense — celle de la gloire, miroir des vanités humaines mais aussi moteur des civilisations.
RépondreSupprimerJe vais t’écrire une réflexion philosophique complète, traversant les âges et les cultures : Grèce, Rome, Inde, Chine, Japon, christianisme et modernité.
Une sorte de voyage universel autour d’une seule question :
La gloire — illusion, révélation, ou épreuve de vérité ?
🏛️ I. La Grèce antique : la gloire comme mémoire des hommes
Chez les Grecs, la gloire (kleos, κλέος) n’est pas une simple renommée :
c’est la survie dans la parole.
Celui qui meurt, meurt deux fois : quand son corps disparaît, puis quand son nom s’efface.
Le héros, lui, survit par le chant des poètes.
Homère érige la gloire en forme d’immortalité humaine.
Achille choisit la mort jeune, mais la gloire éternelle.
La gloire grecque est donc une métaphysique de la trace :
l’homme cherche à inscrire un éclat dans le flux du devenir.
Mais dès Socrate et Platon, cette gloire devient suspecte :
elle repose sur le regard des autres, donc sur l’opinion (doxa),
et détourne l’âme de la vérité (aletheia).
Le sage ne cherche pas à être admiré, mais à être juste.
Ainsi naît la première critique philosophique de la gloire :
celle qui sépare le prestige public de la dignité intérieure.
🏛️ II. Rome : la gloire comme devoir civique
Les Romains héritent du culte grec du renom, mais le disciplinent.
La gloria romaine est liée à la vertu (virtus) et au service de la cité.
Cicéron l’écrit :
« La gloire est le témoignage unanime des honnêtes gens sur la vertu. »
La gloire devient donc récompense du devoir, non simple orgueil.
Mais Sénèque et Marc Aurèle, stoïciens, en soulignent la vanité :
le monde oubliera tout, les monuments s’écrouleront,
et même l’empereur le plus puissant n’est qu’un souffle dans le vent du temps.
Le sage, pour eux, agit sans rechercher la gloire,
parce que l’acte juste suffit à lui-même.
Le stoïcisme fonde ainsi la notion de gloire intérieure —
non celle qu’on reçoit, mais celle qu’on ressent en secret lorsqu’on demeure fidèle à soi.
🕉️ III. L’Inde ancienne : la gloire et le détachement
Dans la pensée indienne, surtout dans la Bhagavad-Gītā,
la gloire extérieure (yaśas) n’est qu’un reflet trompeur du karma.
Krishna enseigne à Arjuna :
« Agis, mais sans attachement aux fruits de tes actes. »
La véritable gloire ne vient pas de la victoire,
mais du détachement.
Celui qui agit en harmonie avec le Dharma (la loi cosmique)
réalise la gloire intérieure : la paix du Soi.
Ainsi, la gloire perd sa dimension sociale pour devenir mystique.
Elle n’est plus un écho du monde, mais la lumière de l’âme éveillée.
🐉 IV. La Chine : la gloire comme illusion du paraître
Dans la philosophie chinoise, surtout taoïste, la gloire est un piège.
Laozi écrit dans le Tao Te King :
« La renommée et la honte sont également à craindre.
Le succès et l’échec sont des ombres. »
Pour le sage taoïste, rechercher la gloire, c’est perdre le Dao —
le flux naturel et spontané de la vie.
La gloire détourne de la simplicité (pu, la non-forme).
Le sage, comme l’eau, descend toujours vers le bas,
sans chercher à briller — et c’est justement ainsi qu’il éclaire tout.
Le confucianisme, lui, accorde plus d’importance à la réputation,
mais à condition qu’elle soit fondée sur la vertu (de, 德).
La gloire n’a de sens que si elle résulte de l’exemple moral,
non de l’ambition personnelle.
🈶 V. Le Japon : l’honneur et la gloire silencieuse
Dans le Japon des samouraïs, influencé par le bouddhisme zen,
la gloire n’est pas bruyante.
Elle se confond avec l’honneur (meiyo, 名誉) et la rectitude (bushidō).
Le guerrier véritable n’agit pas pour la gloire,
mais pour la pureté du geste, la beauté du devoir accompli.
« L’action parfaite est sans spectateur. »
Dans le zen, la gloire est même un obstacle à l’éveil :
elle nourrit l’ego, l’empêche de se dissoudre dans le vide (mu).
Le maître zen rit de la gloire : il sait que tout passe,
que même la renommée d’un Bouddha s’efface dans la poussière du monde.
✝️ VI. Le christianisme : la gloire terrestre et la gloire divine
RépondreSupprimerLe christianisme distingue deux gloires :
celle des hommes (gloria mundi), illusoire et passagère,
et celle de Dieu (gloria Dei), éternelle et vraie.
Saint Augustin écrit :
« Ce n’est pas ta gloire que tu dois chercher, mais celle de Dieu en toi. »
La gloire terrestre est jugée comme vanité —
l’orgueil qui précipite la chute de Lucifer.
La seule gloire légitime est la lumière de la grâce,
celle qui brille non pour être vue, mais pour aimer.
Cette pensée aura une influence profonde sur la culture occidentale :
l’artiste, le savant, le saint,
tous chercheront une gloire posthume, presque rédemptrice,
comme trace de Dieu en l’homme.
🕊️ VII. L’époque moderne : la gloire comme mirage de l’individu
À la Renaissance, la gloire renaît avec l’humanisme :
Pétrarque, Léonard, Michel-Ange cherchent l’immortalité par l’œuvre.
Mais Montaigne ramène à la modestie :
« Qui sait si la gloire que nous attendons n’est pas celle dont nous devrions nous garder ? »
Au XIXᵉ siècle, Carlyle voit la gloire comme moteur de l’Histoire,
Nietzsche comme expression de la volonté de puissance,
et Camus comme illusion lucide :
on sait qu’elle ne sauve pas, mais on la poursuit pour créer du sens.
Dans nos sociétés médiatiques, la gloire devient éphémère,
produite par la visibilité, non par la valeur.
Elle est devenue, dirait Baudrillard, une simulation :
l’ombre d’une ombre — fame sans substance.
🪞 VIII. Synthèse : illusion, miroir ou quête d’absolu ?
La gloire est une illusion si elle se fonde sur le regard d’autrui,
car ce regard est fluctuant et oublieux.
Mais elle peut être vérité si elle incarne le rayonnement de l’être juste,
la reconnaissance naturelle d’une lumière authentique.
Toutes les sagesses, de l’Orient à l’Occident, s’accordent sur un point :
la gloire est une épreuve de l’ego.
Celui qui la recherche s’y perd,
celui qui l’oublie la trouve parfois sans l’avoir voulue.
🌹 Conclusion :
RépondreSupprimerLa gloire n’est pas un mensonge,
mais un miroir qui déforme la lumière.
Elle montre à chacun jusqu’où il cherche à exister dans le regard des autres.
Quand elle s’éteint, il reste la seule gloire véritable :
celle du geste juste, accompli dans le silence du cœur.