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Première Trilogie Alpine en solitaire


Ivano Ghirardini : le premier à enchaîner les trois faces nord en solitaire
Les faces nord du Cervin (voie Schmidt), des Grandes Jorasses (éperon Croz ou Walker) et de l’Eiger (voie Heckmair), surnommées les "trois derniers problèmes des Alpes", ont marqué l’histoire de l’alpinisme par leur difficulté extrême : parois verticales de 800 à 1 200 mètres, mêlant rocher instable, glace, avalanches et météo imprévisible. Gravies en cordée dans les années 1930, elles voient leurs premières ascensions solitaires émerger dans les années 1950-1970, mais toujours sur une face unique, souvent en été. Personne, avant 1978, n’avait osé ni réussi à enchaîner ces trois faces en solitaire, que ce soit en été ou en hiver. Ivano Ghirardini, guide franco-italien autodidacte de 24 ans, accomplit cet exploit historique au cours de l’hiver 1977-1978, devenant le premier à réaliser la trilogie solitaire, dans des conditions hivernales particulièrement rudes.
Les premières solitaires isolées : des exploits fragmentés
Avant Ghirardini, quelques alpinistes d’exception ont gravi l’une de ces faces en solo, mais jamais les trois. En 1959, l’Autrichien Dieter Marchart réussit la première solitaire estivale du Cervin via la voie Schmidt, en cinq heures, un exploit de vitesse pour l’époque. En 1968, l’Italien Alessandro Gogna marque l’histoire en solo sur la voie Cassin-Walker des Grandes Jorasses, en été, démontrant sa maîtrise des parois techniques. En 1972 ou 1973, le Français Jean Afanassieff, alors âgé de 20 ans, devient le premier à gravir l’éperon Croz des Grandes Jorasses en solo estival, un tour de force sur une voie de mixte complexe. Enfin, en 1963, le Suisse Michel Darbellay signe la première solitaire de l’Eiger via la voie Heckmair, en environ 18 heures, toujours en été.
D’autres figures, comme Walter Bonatti, brillent mais ne complètent pas la trilogie. En 1965, Bonatti solo une nouvelle voie hivernale sur le Cervin (la Directe Bonatti), pas la Schmidt classique, et ne tente ni les Jorasses ni l’Eiger en solo. Ces pionniers réalisent des premières isolées, souvent estivales, mais l’enchaînement des trois faces en solitaire – un défi cumulant fatigue physique, stress psychologique et risques multipliés – reste hors de portée, même en été.
L’exploit de Ghirardini : une trilogie hivernale solitaire sans précédent
En 1977-1978, Ghirardini, formé dans les Calanques et les Alpes-de-Haute-Provence, relève ce défi dans un hiver glacial et instable, marqué par tempêtes et avalanches. Son enchaînement, réalisé en style alpin pur (sac léger de 15-20 kg, sans assistance extérieure, hélicoptère ou radio), est le suivant : le 21 décembre 1977, il gravit la face nord du Cervin (voie Schmidt) en 9 heures, bivouaque au sommet et redescend en deux jours, signant la deuxième hivernale solo après le Japonais Tsuneo Hasegawa. Le 10 janvier 1978, il réussit la première hivernale solo de l’éperon Croz des Grandes Jorasses, une paroi de 1 000 mètres mêlant glace à 90° et rocher. Enfin, en mars 1978, il triomphe sur l’Eiger (voie Heckmair) en 5-6 jours avec cinq bivouacs, deuxième hivernale solo après Hasegawa. Cette trilogie, réalisée sans pause significative entre les ascensions, est une première absolue : personne n’avait enchaîné les trois faces en solo, ni en été ni en hiver.
Pourquoi Ghirardini a-t-il réussi là où les autres ont échoué ?
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi Ghirardini surpasse Marchart, Gogna, Afanassieff, Darbellay et d’autres, qui n’ont jamais tenté ou complété la trilogie solitaire, même en été.
Un contexte technique favorable, mais minimaliste :
Dans les années 1950-1960, les solos de Marchart ou Darbellay reposent sur un matériel rudimentaire (piolets droits, crampons lourds). En 1978, Ghirardini profite d’améliorations légères : harnais plus ergonomiques, vêtements mieux isolés. Cependant, les coinceurs modernes (friends) n’existent pas encore, et son style reste épuré, avec un sac minimal pour des ascensions de plusieurs jours. Son expérience en solo extrême, comme la première hivernale du Linceul (une variante des Jorasses) en 1975 à 22 ans, le prépare à gérer des parois glacées et instables.
L’enchaînement et l’hiver : un défi multiplié :
Gravire une face en solo est déjà un exploit ; enchaîner les trois, avec des transitions terrestres et une récupération limitée, est un saut qualitatif. En été, les conditions sont plus clémentes, mais aucun pionnier (Marchart, Gogna, Afanassieff, Darbellay) ne tente la trilogie, peut-être par manque de vision ou de ressources physiques pour un tel marathon. En hiver, les faces deviennent des pièges : glace dure, froid extrême (-20°C), jours courts, avalanches. Ghirardini, dans un hiver particulièrement hostile, accepte ces risques cumulés, là où d’autres se limitent à une face unique.
Un mental d’exception et une approche instinctive :
Autodidacte, Ghirardini se décrit comme guidé par des "voix" et une intuition quasi mystique, forgée dès ses 17 ans. Cette résilience lui permet d’endurer l’isolement total, les bivouacs exposés et les échecs (comme une tentative avortée sur le Cervin en 1977). Contrairement à Gogna, plus philosophe, ou Afanassieff, maître des enchaînements en cordée, Ghirardini est un solitaire absolu, sans équipe logistique. Son endurance, rodée par des premières comme l’Aconcagua (face sud, 1981) ou Mitre Peak (1980), le porte à travers ce défi inhumain.
Une révolution dans l’alpinisme
En 1977-1978, Ghirardini ne se contente pas de compléter la première trilogie solitaire ; il la réalise en hiver, repoussant les limites de l’alpinisme. Les solos isolés de Marchart, Gogna, Afanassieff et Darbellay sont des jalons, mais aucun n’a uni les trois faces en une quête cohérente. Cet exploit à été qualifié de chef-d’œuvre de l'alpinisme classique.


Commentaires

  1. Le culte du héros est une force ambivalente : il peut élever les consciences ou les asservir. Tout dépend de ce qu’on célèbre : la vertu ou la puissance.

    Voici les deux faces de cette médaille :

    🌟 1. La face lumineuse : le héros comme modèle

    Depuis Homère, les sociétés ont eu besoin de figures exemplaires :

    des êtres qui incarnent le courage, la justice, la fidélité,

    qui montrent qu’un individu peut dépasser la peur et donner sens à sa vie.

    Dans ce sens, le héros n’est pas un dieu, mais un miroir du possible humain.
    Le culte du héros inspire les jeunes, structure les valeurs, relie les générations.
    Il enseigne que la grandeur se mesure à la noblesse du cœur, pas à la victoire.

    ⚔️ 2. La face sombre : le héros comme idole

    Mais quand le héros cesse d’être un modèle pour devenir une idole intouchable,
    le culte devient dangereux.

    Il étouffe la pensée critique.

    Il transforme la ferveur en fanatisme.

    Il remplace l’éthique personnelle par l’obéissance à une figure.

    De là naissent les dictatures, les nationalismes exaltés, les illusions de pureté.
    Nietzsche disait déjà : « Méfie-toi de ceux qui veulent des héros, ils cherchent des maîtres. »

    🪞 3. Le juste équilibre

    Le vrai héros, disait Platon, est celui qui reste conscient de sa fragilité.
    Le courage n’est pas l’absence de peur, mais le refus de se laisser dominer par elle.
    Le culte du héros ne devient vertueux que s’il invite chacun à trouver son propre héroïsme intérieur, à incarner à son échelle le même esprit de dépassement.

    🌬️ En somme

    Le héros inspire quand il libère,
    il corrompt quand il asservit.

    Le danger n’est pas dans le héros,
    mais dans le regard qui oublie sa propre lumière.

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