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Jean-Antoine Carrel, le Cervin en hiver

 

Jean-Antoine Carrel, le Cervin en hiver

Le Cervin… Gran Becca, pyramide d’orgueil dressée entre ciel et terre. Depuis des siècles, il dominait les vallées comme une déesse de glace, inaccessible, farouche. Et dans le petit village de Valtournenche, un enfant levait chaque jour les yeux vers elle : Jean-Antoine Carrel.
Il la regardait comme on regarde une femme trop belle, trop dangereuse. Elle n’était pas pour les étrangers. Elle n’était pas pour ces Anglais venus avec leurs livres et leurs ambitions. Non, elle était italienne, fille du Val d’Aoste, et il en était le gardien.
Quand Whymper, avec son regard brûlant et son impatience de conquérant, vint chercher à séduire la montagne, Carrel hésita. Pendant un temps, il marcha à ses côtés, puis il s’en détourna, comme un frère qui refuse de trahir le sang et la terre. Il choisit son camp : celui de l’Italie, celui de l’honneur.
Et alors, en ce juillet 1865, la grande bataille fut lancée. Deux cordées, deux nations, deux visions. Whymper monta par le versant suisse, Carrel par l’arête du Lion. Mais la déesse avait déjà choisi : elle céda d’abord à l’étranger. Et lorsque Carrel parvint au sommet, haletant, il trouva déjà des traces humaines dans la neige. Le drame avait frappé de l’autre côté : quatre hommes précipités dans le vide. Le Cervin venait de prendre son tribut de sang.
Carrel redescendit ce jour-là sans fanfare, le cœur serré. Mais au fond de lui, il savait que le lien n’était pas brisé. Car une défaite sur une montagne n’est jamais définitive.
Les années passèrent. Le guide devint le maître de l’arête du Lion. Chaque fissure, chaque corniche, chaque silence glacé, il les connaissait. Le Cervin n’était plus seulement une montagne pour lui, mais une compagne : colérique, imprévisible, mais aussi fidèle à celui qui savait l’écouter.
Alors, en hiver 1876, Carrel osa l’impensable. Quand les vents mordaient comme des lames et que la neige ensevelissait les pentes, il s’engagea. Gravir le Cervin en hiver, le traverser même, c’était comme pénétrer dans la chambre la plus intime de la déesse. Beaucoup parlaient de folie. Lui y vit un appel. Et il réussit. Sur ces arêtes gelées où nul homme n’avait osé passer, Carrel marcha, droit, calme, comme s’il dialoguait avec l’esprit de la montagne.
On raconte que, là-haut, il ne parlait pas beaucoup. Il avançait, l’œil sombre, le souffle régulier. Mais parfois, en croisant le regard de ses compagnons, un sourire fugace passait sur ses lèvres. Un sourire d’amoureux satisfait d’être enfin reconnu.
Jusqu’à la fin, il ne s’éloigna jamais du Cervin. Et c’est là, au Col du Lion en 1890, qu’il rendit son dernier souffle. Non pas brisé par une chute, mais terrassé par la maladie, comme si la montagne elle-même avait voulu l’emporter doucement, sans violence. Elle le garda auprès d’elle, jalouse jusqu’au bout.
Jean-Antoine Carrel ne fut pas seulement un guide. Il fut l’homme qui parla au Cervin comme à une amante sauvage. Leur histoire n’est pas une conquête, mais une fidélité. Une vie entière tournée vers une pyramide de glace, un serment tenu entre un homme et une montagne.


Commentaires

  1. description topographique détaillée du Cervin (Matterhorn), en intégrant reliefs, arêtes, faces et particularités géographiques.

    Généralités

    Nom : Cervin (français), Matterhorn (allemand).

    Altitude : 4 478 mètres.

    Localisation : Alpes pennines, à la frontière Suisse (Valais) / Italie (Piémont).

    Type de sommet : pyramide isolée, emblématique par sa silhouette parfaitement pointue et ses quatre faces principales orientées approximativement aux points cardinaux.

    Morphologie et topographie

    Arêtes principales

    Arête Hörnli (nord-est) : la plus célèbre pour l’ascension classique depuis Zermatt (Suisse). Elle est relativement moins technique mais exigeante sur l’endurance et l’exposition.

    Arête Lion (arête sud-ouest / Crête Leone) : côté italien, plus raide et technique que l’Hörnli, souvent utilisée pour la descente ou l’ascension depuis Breuil-Cervinia.

    Arête Furggen (sud-est) : extrêmement raide, technique et peu fréquentée.

    Arête nord-ouest (arête Zmutt) : long parcours d’escalade rocheuse et mixte, considérée comme très exigeante et engagée.

    Faces principales

    Face nord : glacière, verticale, réputée pour la difficulté et la dangerosité. Les avalanches et chutes de pierres y sont fréquentes.

    Face est : moins abrupte que la nord, mais souvent exposée au vent et au froid extrême.

    Face sud (italienne) : plus large et moins verticale, mais les séracs et crevasses la rendent difficile et technique.

    Face ouest : raide, rocheuse, combinant éboulis et pentes de neige, exposée aux chutes de pierres.

    Glaciers et moraines

    Glacier du Hörnli (nord-est) : petit glacier qui descend vers Zermatt, souvent utilisé comme approche pour le départ de l’arête.

    Glacier du Zmutt (nord-ouest) : plus étendu, glaciaire et crevassé.

    Glacier du Lion (sud-ouest) : côté italien, couvert de séracs et de crevasses.

    Particularités géologiques

    Pic pyramidal quasi isolé, formé par l’érosion des glaciers et les chevauchements tectoniques.

    Rocher principalement composé de gneiss, relativement stable mais exposé aux chutes de pierres, surtout en été.

    Silhouette parfaite visible depuis Zermatt et Breuil-Cervinia, offrant une symétrie presque géométrique.

    Approches classiques

    Côté suisse (Hörnli) : Zermatt → Hörnli Hut (3 260 m) → sommet.

    Côté italien (Lion) : Breuil-Cervinia → Carrel Hut (3 830 m) → sommet.

    Techniques : mélange de randonnée alpine, escalade rocheuse et passages neige/glace.

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  2. L’alpinisme hivernal au XIXᵉ siècle est un domaine moins fréquenté mais fascinant, car il représente l’exploration des Alpes dans leurs conditions les plus extrêmes, bien avant l’équipement moderne. Voici un panorama détaillé :

    Contexte historique

    Pendant la première moitié du XIXᵉ siècle, l’alpinisme était principalement estival, car les glaciers et les pentes enneigées étaient considérés comme trop dangereux.

    Avec l’âge d’or de l’alpinisme (1854‑1865), certains alpinistes anglais, suisses et autrichiens ont commencé à s’intéresser aux ascensions hors saison, malgré la neige, la glace et le froid extrême.

    Les motivations étaient variées : défis techniques, exploration scientifique, ou simples exploits héroïques.

    Caractéristiques de l’alpinisme hivernal

    Conditions et dangers

    Températures extrêmes, chutes de neige fréquentes et risque constant d’avalanches.

    Visibilité réduite, navigation difficile sur glaciers et arêtes enneigées.

    Les vêtements et équipements étaient rudimentaires : laine, cuir, crampons parfois improvisés.

    Techniques

    Progression lente et prudente : utilisation de piolets en bois ou en fer, cordes simples pour les passages exposés.

    Souvent, les alpinistes hivernaux pratiquaient des ascensions mixtes roche/glace, mais en version légère pour éviter l’épuisement.

    L’esprit “light and fast” de Mummery, bien que plus tardif, trouve ses racines dans ces pratiques hivernales pionnières.

    Personnalités marquantes

    John Tyndall (1820‑1893) : physicien et alpiniste anglais, connu pour ses premières hivernales sur le Weisshorn et le Mont Blanc.

    Edward Whymper (1840‑1911) : célèbre pour le Cervin, a également pratiqué des ascensions en conditions hivernales, souvent pour tester les techniques de sécurité et le matériel.

    Guides suisses et valdôtains : leur expérience du terrain enneigé a été essentielle pour permettre ces expéditions hivernales.

    Ascensions hivernales emblématiques

    Mont Blanc en hiver : première ascension hivernale réalisée par des Anglais et des Suisses vers 1850-1860.

    Weisshorn et Täschhorn : premières explorations hivernales au milieu du XIXᵉ siècle, démontrant la faisabilité mais aussi les risques extrêmes.

    Ces ascensions étaient très rares et considérées comme héroïques : peu d’alpinistes avaient le courage ou la technique pour affronter la montagne en hiver.

    Héritage

    L’alpinisme hivernal a jeté les bases de l’alpinisme moderne, avec ses techniques spécialisées pour neige et glace.

    Il a inspiré les expéditions hivernales au XXᵉ siècle, notamment dans les Alpes et l’Himalaya.

    L’esprit de prudence, préparation et adaptation au terrain hostile a influencé durablement la culture alpine.

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  3. L’alpinisme italien au XIXᵉ siècle est moins médiatisé que l’alpinisme anglais ou suisse, mais il joue un rôle important, surtout dans le contexte des Alpes italiennes (Alpes valdôtaines, Pennines et Dolomites) et dans la naissance d’une culture alpine nationale. Voici une synthèse détaillée :

    Contexte historique

    L’Italie au XIXᵉ siècle était en pleine période de Risorgimento : unification politique et émergence d’un sentiment national. L’alpinisme contribue aussi à cette identité.

    Les Alpes italiennes étaient moins explorées par les étrangers que les Alpes suisses ou françaises, mais certaines régions (Dolomites, Val d’Aoste, Piémont) attiraient des alpinistes locaux et quelques étrangers.

    L’alpinisme en Italie se distingue par un mélange de pratique scientifique, exploratoire et patriotique.

    Caractéristiques de l’alpinisme italien

    Exploration et premières ascensions

    Beaucoup de premières italiennes ont été réalisées par des guides locaux avec des alpinistes italiens ou étrangers.

    Les Dolomites, particulièrement escarpées, ont été un terrain d’expérimentation pour la grimpe technique, souvent plus verticale que les Alpes centrales.

    Personnalités marquantes

    Jean-Antoine Carrel (1829‑1890) : célèbre guide valdôtain, rival et partenaire de Whymper pour le Cervin. Il incarne le savoir-faire italien en escalade alpine classique.

    Giuseppe Farinetti et les guides de Cortina : explorateurs des Dolomites, pionniers des voies difficiles et techniques.

    Les guides italiens étaient réputés pour leur habileté en terrain rocheux et vertical, préparant le terrain pour l’alpinisme acrobatique.

    Style et approche

    Préférence pour la grimpe technique sur roche, particulièrement dans les Dolomites et certaines faces italiennes des Pennines.

    Importance des guides locaux et du savoir-faire transmis oralement.

    Les expéditions pouvaient être légères, mais souvent plus pragmatiques que les expéditions anglaises, avec un mélange de scientificité et de recherche de sommet.

    Ascensions emblématiques

    Cervin / Matterhorn : côté italien, Carrel et son équipe effectuent plusieurs ascensions partielles avant la première réussite de Whymper (1865).

    Dolomites : premières ascensions des aiguilles les plus techniques (Torre di Toblin, Punta Penia, etc.), souvent très verticales et acrobatiques.

    Mont Rose et Gran Paradiso : explorations scientifiques et premières hivernales italiennes, souvent en collaboration avec géologues et alpinistes étrangers.

    Impact et héritage

    L’alpinisme italien a fourni des techniques de grimpe verticale et acrobatique, influençant l’alpinisme moderne.

    Les guides italiens deviennent des références en Europe pour la précision et la technique sur rocher.

    Les expéditions italiennes ont contribué à l’essor du tourisme de montagne, en particulier à Cortina d’Ampezzo et dans le Val d’Aoste.

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