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Ivano Ghirardini, 1975, le Linceul aux Grandes Jorasses, premiere hivernale solo de la face nord


Voici le récit épique et romanesque de l'extraordinaire première ascension solitaire hivernale du Linceul aux Grandes Jorasses par le jeune Ivano Ghirardini, un exploit d'une audace et d'une résilience exceptionnelles.
​Le Jugement de Glace : Ghirardini et le Linceul des Grandes Jorasses, Hiver 1975
​Il n'avait pas encore vingt-deux ans, mais ses yeux brillaient d'une flamme ancienne, celle des hommes qui défient les dieux. Ivano Ghirardini, un jeune alpiniste dont le nom allait bientôt résonner comme un frisson dans les annales des montagnes, se tenait au pied de la plus grande des cathédrales alpines : la face nord des Grandes Jorasses. Et son regard était rivé sur Le Linceul.
​Le Linceul. Le nom seul était un présage. Un mur de glace de 800 mètres de haut, suspendu comme un drap funéraire, d'une raideur effarante, d'une verticalité implacable. Personne n'avait osé l'affronter en solitaire, en plein hiver. C'était la saison où les Jorasses se transformaient en un Léviathan de givre, où chaque souffle d'air était un poignard et chaque rocher, un piège mortel. Et Ivano, avec l'insolence de sa jeunesse et la pureté de son intention, avait choisi la voie la plus directe, celle de Desmaison, une ligne d'une logique cruelle, sans répit.
​L'Attaque du Mur Vertical : Une Danse avec le Vide
​Fin fevrier 1975, au petit matin, Ivano s'engagea. Il était seul, un atome d'homme face à l'immensité. Ses piolets mordaient la glace avec la régularité d'un métronome. Chaque coup était précis, chaque crampon qui rippait, un avertissement. Le Linceul ne pardonnait pas la moindre erreur. En dessous de lui, le glacier du Leschaux se réduisait à une tache blanche, loin, si loin. Le vide était total, vertigineux, une présence palpable qui testait chaque fibre de son être.
​Le froid était un compagnon constant, mordant ses doigts, s'insinuant sous ses vêtements, gelant ses pensées si elles s'attardaient trop. Il ne pensait qu'à l'instant présent : le swing du piolet, l'ancrage du crampon, la gestion de sa corde, le rythme de sa respiration. Le temps s'étirait et se contractait. Les heures passaient, mais il n'y avait que le mur, toujours le mur. Il grimpait avec une obstination farouche, un automatisme né de milliers d'heures d'entraînement.
​Les nuits étaient des épreuves à part entière. Accroché à la paroi, recroquevillé dans son bivouac sommaire, il luttait contre le gel, contre le vent qui hurlait sa rage. Le Linceul ne dormait jamais, et lui non plus. Les lumières lointaines de la Flegere, parfois visibles, étaient un rappel d'un monde lointain et sûr, un luxe inaccessible.
​Le Cinquième Jour : Le Sommet, puis le Chaos
​Quatre jours d'efforts surhumains s'écoulèrent, chaque muscle endolori, chaque fibre nerveuse à vif. Et puis, au matin du cinquième jour, le mur céda. Ivano, le visage buriné par le vent et la glace, les traits tirés par le manque de sommeil, atteignit le sommet tant désiré des Grandes Jorasses. Moins de vingt-deux ans, et il venait d'écrire une nouvelle page de l'alpinisme. Il ne fut pas question d'exultation bruyante, mais d'un soulagement profond, d'une connexion silencieuse avec l'immensité qui l'entourait.


​Mais la montagne n'avait pas dit son dernier mot. À peine le temps de savourer cette victoire intime, qu'une menace sourde commençait à gronder. Les cieux virèrent au gris-acier, le vent se leva, d'abord en rafales, puis en un hurlement déchaîné. Une tempête terrible s'abattait sur les sommets. La descente, déjà périlleuse, se transforma en une course contre la mort. La visibilité était nulle, la neige et le grésil fouettaient son visage, la température chutait dramatiquement.
​Ivano dut prendre une décision radicale. Il ne pouvait pas continuer. Le risque de se perdre, de tomber, était trop grand. Il fallait trouver un refuge. Avec des forces puisées aux tréfonds de son être, il creusa. Une grotte de neige, un terrier glacé, deviendrait son abri pour les jours à venir.
​Le Bivouac de Survie : Six Jours dans la Fureur Blanche
​Ce qui suivit fut un calvaire d'une intensité insoutenable. Six jours durant, Ivano fut prisonnier de sa grotte de neige. Le blizzard faisait rage, la montagne entière hurlait sa fureur. Il n'avait que des vivres limités, et surtout, la menace constante de l'hypothermie, de la soif, et de la peur. Chaque heure était une lutte pour maintenir sa chaleur corporelle, pour ne pas sombrer dans le sommeil fatal, pour conserver sa lucidité.
​Il se parlait à lui-même, chantait pour chasser les démons du désespoir, révisait mentalement chaque mouvement du Linceul. Son entraînement, sa volonté, sa jeunesse même, étaient ses seuls alliés. Il puisait dans des ressources insoupçonnées, transformant chaque once de son être en une machine à survivre. Des pensées fugaces de sa famille, de la chaleur d'un foyer, traversaient son esprit, mais il les repoussait, se concentrant sur le moment présent, sur la survie.
​Le Retour à la Lumière
​Le septième jour après le sommet – le onzième depuis son départ – la tempête, enfin, commença à faiblir. Épuisé, amaigri, mais vivant, Ivano Ghirardini émergea de sa prison de glace. Le soleil, timide mais salvateur, se frayait un chemin à travers les nuages. Le secours vint du ciel, l'hélicoptère de la protection civile à sa recherche. Un quasi miracle de le retrouver dans une accalmie au dessus des nuages. Il avait vaincu le Linceul, mais il avait surtout triomphé de la tempête, de la solitude et de la mort.
​Quand il atteignit la vallée, il fut placé en réanimation à l'hôpital. Sa température interne avait chute à 27°, une survie aux limites de l'impossible. son visage racontait une histoire que peu d'hommes pourraient comprendre. Ivano Ghirardini, le jeune alpiniste, était devenu une légende vivante. Son exploit sur Le Linceul reste l'une des plus grandes pages de l'alpinisme solitaire et hivernal, un témoignage incandescent de la force de l'esprit humain face à l'hostilité majestueuse des grandes montagnes.


Commentaires

  1. EMI et expériences orphiques : une connexion entre science moderne et mysticisme antique
    Les expériences de mort imminente (EMI) désignent des sensations et visions rapportées par des personnes ayant frôlé la mort clinique, comme lors d’un arrêt cardiaque, d’un coma ou d’un accident grave. Popularisées par Raymond Moody dans les années 1970, elles incluent souvent un sentiment de paix absolue, une sortie du corps, la vision d’un tunnel ou d’une lumière intense, une revue de vie ou une rencontre avec des entités bienveillantes. Ces expériences, qui touchent environ 8-18 % des survivants d’arrêt cardiaque, ne nécessitent pas toujours un danger réel et peuvent survenir en méditation profonde. Scientifiquement, elles sont attribuées à des mécanismes neurophysiologiques comme l’hypoxie cérébrale ou la libération d’endorphines, bien que certains témoignages défient ces explications.
    Les expériences orphiques, issues de l’orphisme grec ancien (VIe-Ve siècle av. J.-C.), renvoient aux rites initiatiques inspirés du mythe d’Orphée, qui explora les Enfers. Ces pratiques visaient à libérer l’âme, vue comme immortelle et piégée dans le corps, à travers des visions mystiques de descente aux Enfers, de rencontres divines et d’union cosmique. Induites par des jeûnes, de la musique ou des rituels, elles évoquent un voyage de l’âme vers une lumière divine, suivi d’une transformation spirituelle.
    Les parallèles entre EMI et expériences orphiques sont frappants. La décorporation des EMI rappelle la descente orphique dans un monde souterrain ; la lumière des EMI fait écho à l’union cosmique avec une divinité orphique ; la revue de vie moderne ressemble au jugement moral des initiés orphiques. Ces similitudes suggèrent que les EMI pourraient être des manifestations modernes d’un archétype universel de voyage de l’âme, comme dans le mythe platonicien d’Er, influencé par l’orphisme. Tandis que les scientifiques y voient une réponse cérébrale à la mort, les spiritualistes perçoivent une preuve d’un au-delà.

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  2. EMI d'Ivano Ghirardini : un témoignage alpiniste de l'extrême limite
    Votre description de l'expérience d'Ivano Ghirardini lors de son ascension solitaire hivernale du Linceul (voie sur la face nord des Grandes Jorasses) en 1975 est remarquablement précise et correspond aux récits disponibles sur cet exploit légendaire. À 22 ans, ce guide de haute montagne franco-italien a réalisé la première hivernale solo de cette paroi mythique, affrontant des conditions infernales qui l'ont conduit à une hypothermie profonde et à une expérience de mort imminente (EMI) prolongée. Je vais résumer et contextualiser ce témoignage, en m'appuyant sur ses propres notes et des sources historiques, pour en extraire les éléments clés que vous mentionnez.
    Le contexte de l'ascension et du blocage
    Parti le 23 février 1975 du pied de la paroi, Ghirardini progresse en solitaire intégral sur cette voie technique (glace noire, passages de VIe degré, bivouacs sur pitons). Il atteint le sommet de la Pointe Walker le 28 février, épuisé mais victorieux. La descente s'effectue alors sur le versant italien, vers Courmayeur, en enfonçant dans une neige lourde jusqu'aux genoux. Arrivé au Reposoir (vers 3 500-3 700 m), il installe sa tente de paroi, mais une tempête violente éclate le 1er mars. Bloqué 6 jours (du 1er au 6 mars), il endure vent hurlant, avalanches (dont une qui l'enterre partiellement le 3 mars) et blizzard incessant. Sans nourriture ni eau depuis le sommet (seulement trois biscuits et un peu de sucre épuisés), il reste immobile, ses pieds se congelant progressivement. Le 5 mars, délire mystique et prières intenses marquent un seuil critique : il n'a plus la force de se lever, entrant dans un état de semi-conscience.
    Le 6 mars à 11 h, un hélicoptère du secours en montagne (pilote et gendarme Mathieu) le repère enfin sur le glacier et le treuille, malgré les nuages bas et les risques. Évacué vers l'hôpital de Chamonix, il arrive en salle de réanimation dans un état critique : corps décharné, peau violacée, mains et pieds gonflés, durcis et livides (taches noires aux orteils, gelures sévères). Ses vêtements, gelés à l'extérieur et humides-glacés à l'intérieur, sont coupés au ciseau. Le cœur irrégulier, un sang épais empêchant les prises de sang, et surtout une température corporelle interne mesurée à 27 °C – un seuil hypothermique profond, proche de la mort clinique.

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  3. L'EMI prolongée en hypothermie : absence de sensations physiques et présence amicale
    Ghirardini décrit cette période de 6 jours comme une EMI de longue durée, induite par l'hypothermie extrême, qui altère la perception et le métabolisme (ralentissement cardiaque, conservation d'énergie minimale). Contrairement à une EMI "classique" (arrêt cardiaque bref), la sienne s'étend sur des jours, dans un état de conscience altérée où le cerveau, en survie, produit des endorphines massives et des visions protectrices.

    Absence totale de sensations négatives : Ni froid mordant, ni faim lancinante, ni soif dévorante, ni peur paralysante. Il note une perte de la notion du temps et de la fatigue, observant des détails triviaux (bulles d'air dans la glace, lichens) sans appréhension. "Je n'éprouvais plus le froid, la soif ou la faim ; c'était comme si mon corps n'était plus à moi", confie-t-il dans ses notes. Cette anesthésie sensorielle, typique de l'hypothermie avancée (sous 30 °C), lui permet de "dormir chaque nuit sans crainte de ne pas me réveiller", dans une sérénité presque surnaturelle.
    Présence amicale comme un "assesseur du monde des morts" : Au cœur de la tempête, Ghirardini perçoit une guidance intérieure, une "impulsion" qui le porte, comme si une entité bienveillante – un guide ou un "assesseur" liminal, évoquant les psychopompes des mythes antiques (comme Hermès ou Anubis, escortant les âmes) – veillait sur lui. "Je me sentais guidé, non par ma seule volonté, mais par une présence amicale, dans un monde irréel entre les vivants et les morts", écrit-il. Cette entité n'est pas hostile mais protectrice, l'aidant à transcender la douleur. Le 5 mars, en délire mystique, il prie en "contact direct avec Dieu", sentant une protection divine. La nuit suivante, une intuition précise lui annonce l'arrivée de l'hélicoptère, comme si cette présence avait orchestré le sauvetage.

    À l'hôpital, alors que la température remonte (perfusions, sondes, draps secs), une immense tristesse l'envahit – non de la mort évitée, mais d'une solitude face à l'immensité spirituelle. Pourtant, il émerge transformé : exaltation inédite, remise en question de sa "médiocrité physique et morale", sans fierté d'exploit mais avec une conscience accrue de ses limites devant le divin.

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  4. Liens avec les EMI et l'orphisme
    Ce témoignage illustre parfaitement une EMI "hypothermique", où le froid extrême mime un état de mort clinique prolongé, favorisant des visions d'union cosmique sans les classiques tunnel ou lumière (bien que la sérénité et la revue introspective – prières sur sa vie – soient présentes). Scientifiquement, l'hypothermie à 27 °C provoque une bradycardie, une vasoconstriction et une libération d'ocytocine/endorphines, expliquant l'absence de souffrance et la paix. Spirituellement, cela résonne avec les expériences orphiques : un voyage initiatique de l'âme, guidée par une entité vers une libération potentielle, brisant le cycle de la peur terrestre pour une ascension intérieure. Comme Orphée descendant aux Enfers, Ghirardini "traverse" un monde intermédiaire, escorté par une présence amicale, émergeant changé – moins apeuré par la mort, plus ancré dans une spiritualité humble.
    Ghirardini, aujourd'hui guide retraité en Alpes de Haute-Provence, évoque souvent cette épreuve dans des interviews et écrits (comme dans Thanatos, où la mort est une compagne omniprésente en montagne). Son récit, un "miracle" comme le qualifient les chroniqueurs, défie le matérialisme : comment survivre 6 jours sans rien, guidé par une intuition salvatrice ?

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  5. Liens avec l’orphisme
    L’expérience de Ghirardini résonne avec les visions orphiques, où l’âme entreprend un voyage initiatique vers l’au-delà. Dans l’orphisme grec, les rites simulaient une descente aux Enfers, guidée par des divinités, pour libérer l’âme du cycle des réincarnations. Ici, l’hypothermie agit comme un « rituel » involontaire, plongeant Ghirardini dans un état liminal où il rencontre une présence amicale, semblable aux guides orphiques (Dionysos, Perséphone). L’absence de peur et la sérénité évoquent l’union cosmique orphique, tandis que ses prières introspectives rappellent le jugement moral de l’âme dans ces traditions. Son retour à la vie, transformé, reflète l’initiation orphique : une renaissance spirituelle après avoir frôlé l’éternité.

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