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Heinrich Harrer

 

Chers passionnés d'alpinisme, vous qui avez connu le vertige des parois suspendues, le silence oppressant des bivouacs à 3 000 mètres, et l'euphorie d'un sommet conquis au prix de la peau des doigts, laissez-moi vous conter, comme les pages d'un roman forgé dans la glace et le granit, la vie d'Heinrich Harrer. Né le 6 juillet 1912 à Hüttenberg, niché au cœur des Alpes carinthiennes, ce fils de facteur postal grandit dans l'ombre des pics acérés, où le vent murmurait déjà des promesses d'aventure. Sa trajectoire, un tourbillon de triomphes vertigineux, d'erreurs impardonnables et de rédemption spirituelle, nous enseigne des leçons gravées dans la roche : la passion peut nous hisser aux cimes, mais l'aveuglement idéologique nous précipite dans l'abîme ; la perte nous forge, et l'humilité face aux cultures étrangères ouvre les portes d'une sagesse plus haute que n'importe quel sommet.
Imaginez un garçon aux yeux vifs, aux jambes agiles, foulant les sentiers enneigés de l'Autriche rurale. Heinrich, fils unique d'un modeste employé des postes, découvrit tôt la montagne comme un appel primal. À l'école, ses bulletins chantaient les louanges de ses prouesses en ski et en escalade, mais c'est à l'Université Karl-Franzens de Graz, de 1933 à 1938, qu'il étudia la géographie et l'éducation physique, transformant sa vocation en arme affûtée. Dès 1936, il intégra l'équipe olympique autrichienne de ski, remportant l'année suivante le titre de champion du monde étudiants en descente. Pourtant, sous la surface idyllique de ces victoires, l'Europe bouillonnait. L'Autriche, fragile et divisée, sombrait dans les tourments du nazisme naissant. Heinrich, ambitieux et patriote, rejoignit en octobre 1933 les Sturmabteilung (SA), les chemises brunes, puis, après l'Anschluss de mars 1938, la SS le 1er avril, atteignant le grade d'Oberscharführer et adhèrent au parti nazi le 1er mai. Il épousa Lotte Wegener le 2 juin, obtenant l'autorisation d'Heinrich Himmler en prouvant leur "arianité". Leçon amère : la jeunesse ardente peut nous lier à des chaînes invisibles ; les idéaux tordus promettent la gloire, mais sèment les regrets, rappelant que la vraie force réside dans le choix conscient, non dans l'aveuglement des foules.
C'est dans ce tourbillon que l'Eiger l'appela, cette "Mordwand" – le Mur Meurtrier – haute de 1 800 mètres de glace et de rocher traître, qui avait déjà dévoré des légendes. Sachant qu'une telle conquête ouvrirait les portes des expéditions himalayennes, Heinrich s'allia à Fritz Kasparek, son fidèle Viennois, et ils s'élancèrent le 21 juillet 1938 depuis Kleine Scheidegg. Sans crampons – un oubli qui transforma chaque pas en pari mortel – ils gravirent le Premier Pilier, le Champ de Glace, fixant des cordes sur la fameuse Traverse d'Hinterstoisser. La nuit au Nid d'Hirondelle fut un supplice de froid et d'avalanches grondantes. Le 22, les Allemands Anderl Heckmair et Ludwig Vörg les rejoignirent, fusionnant leurs forces en une cordée improbable : Autrichiens et Allemands unis contre la bête. Ensemble, ils défirent le Tuyau de Glace, le Bivouac de la Mort, la Rampe, la Traverse des Dieux et l'Araignée blanche – avalanche monstre qui les noya dans un océan de neige, mais qu'ils repoussèrent par la seule volonté de vivre. Le 24 juillet, à 16 heures, sous un blizzard hurlant, ils touchèrent le sommet, quatre ombres triomphantes. Observés aux jumelles depuis la vallée, ils devinrent icônes mondiales. Rencontrant Hitler à Breslau, acclamés par 30 000 voix, Heinrich versa des larmes d'émotion, clamant : "Nous avons gravi l'Eiger Nordwand, au-delà du sommet, jusqu'à vous, notre Führer." Leçon des cimes : la victoire collective transcende les nations ; elle forge des liens plus solides que la roche, mais l'euphorie post-sommet peut nous aveugler aux ombres qui s'allongent en contrebas.
L'apogée fut fugace. Boosté par l'Eiger, Heinrich intégra en 1939 l'expédition allemande au Nanga Parbat, la "Montagne Tueuse" de 8 126 mètres au Cachemire. Mais la guerre éclata, et les Anglais les internèrent à Mesch, au Pendjab indien. Déterminé à s'évader – sept fois, en vérité –, il s'enfuit enfin le 9 avril 1944 avec Peter Aufschnaiter, traversant rivières en crue, cols himalayens à plus de 6 500 mètres, et le plateau tibétain en hiver mordant. Après 21 mois d'errance héroïque, franchissant 65 cols, ils atteignirent Lhassa en octobre 1946, accueillis comme des dieux dans la cité interdite. Heinrich, apprenant le tibétain, devint ami et tuteur du jeune 14e Dalaï Lama, Tenzin Gyatso, lui enseignant géographie, sciences et anglais jusqu'en 1951. Ces sept années au Toit du Monde – documentées dans son best-seller Sept Ans au Tibet (1952), vendu à trois millions d'exemplaires et traduit en 48 langues – furent une renaissance. Leçon du plateau : l'exil forcé peut devenir une odyssée libératrice ; immergé dans l'altérité, on découvre que la tolérance efface les barrières, et que la sagesse d'un enfant-moines peut guérir les blessures d'un guerrier égaré.
De retour en Europe en 1951, fuyant l'invasion chinoise, Heinrich affronta les fantômes du passé. Son livre propulsa sa célébrité, mais en 1997, juste avant l'adaptation cinématographique avec Brad Pitt, le magazine Stern révéla ses affiliations nazies. Confronté, il admit : "J'ai rejoint la SS comme coach sportif après l'Anschluss, par opportunisme." Le Dalaï Lama, son ami fidèle, le soutint : "Si ta conscience est claire, n'aie rien à craindre." Heinrich, épousant en secondes noces Margaretha Truxa (1953-1958) puis Katharina Haarhaus (1962 jusqu'à sa mort), devint un globe-trotter infatigable : expéditions en Papouasie, au Ladakh, en Amazonie, grimpant jusqu'à 80 ans. Il écrivit plus de 20 ouvrages, dont La Toile d'Araignée Blanche (1959) sur l'Eiger, et milita pour les droits humains tibétains. Père d'un fils de son premier mariage, il mourut le 7 janvier 2006 à Friesach, à 93 ans, laissant un legs immortel.
De cette existence, un roman vivant, tirons des leçons pour nos propres parois : la passion juvénile nous élève, mais nous enseigne que les erreurs idéologiques sont des chutes plus profondes que n'importe quel gouffre – affrontez-les avec franchise pour renaître. La perte – d'un fils naissant, d'une patrie, d'une liberté – forge la résilience ; comme Heinrich fuyant le camp, transformez l'adversité en pont vers l'inconnu. Enfin, l'humilité culturelle : en tuteur du Dalaï Lama, il apprit que la vraie conquête n'est pas le sommet, mais le cœur des autres ; ouvrez-vous aux mondes étrangers, et la montagne intérieure s'apaisera. Que son odyssée vous guide, grimpeurs, vers des victoires non pas de gloire éphémère, mais de sagesse éternelle.


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