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Ghirardini - Hasegawa, la compétition


La première et la seconde de la face nord de l'Eiger en solo hivernal à un jour d'intervalle, mars 1978. Samouraï japonais contre hoplite des Apenins. Dieux du Japon contre Esprit d'Achille. Sauf que le japonais vient de finir sa deuxième face tandis que Ghirardini vient de finir les trois et réussir de ce fait la première trilogie hivernale solo des trois derniers problèmes des Alpes, Cervin, Grandes Jorasses, Eiger.



Commentaires

  1. la frontière subtile entre l’appel intérieur de la montagne et le désir de reconnaissance, deux forces qui se mêlent souvent dans l’histoire de l’alpinisme.
    Voici une réflexion philosophique complète, nourrie de plusieurs traditions.

    🏔️ L’alpinisme : entre ascèse et miroir

    L’alpinisme est né, à la fin du XVIIIᵉ siècle, comme une quête de l’inutile — une ascèse moderne où l’humain cherche à se dépasser face au vide.
    Mais très vite, la société l’a transformé en spectacle de la gloire : les journaux publient les exploits, les guides deviennent des héros, et les sommets se transforment en trophées.
    Ce passage du sublime intérieur au prestige extérieur est le cœur de ta question : la recherche de la montagne est-elle pure, ou contaminée par le besoin d’être vu ?

    ⚖️ Les Grecs : la gloire comme vertu et piège

    Pour les Grecs, la kleos (κλέος), la renommée, était la récompense des héros. Achille choisit une vie courte et glorieuse plutôt qu’une longue et obscure existence.
    Mais Socrate et les stoïciens rompent avec cette vision : la vraie grandeur est intérieure. Épictète dit :

    « Si tu veux être loué, apprends d’abord à te louer toi-même sans orgueil. »

    Ainsi, la gloire devient une illusion si elle repose sur le regard d’autrui. Le sage agit pour le bien, pas pour le bruit.

    🏕️ Les alpinistes : solitude, ego et dépassement

    Dans la montagne, la gloire se dédouble.

    Chez Rébuffat, elle est poésie : « La montagne n’est pas un but, mais un moyen de se mesurer à soi. »

    Chez Messner, elle est affirmation de soi : « Je grimpe pour connaître mes limites. »

    Chez Ghirardini ou Hasegawa, la gloire devient ascèse glacée, un combat solitaire où la reconnaissance ne vient qu’après la survie.

    L’alpiniste sincère n’est pas celui qui cherche la photo dans le journal, mais celui qui parle avec la montagne, qui mesure sa petitesse dans l’immensité du monde.
    Mais même cette pureté peut glisser — car le regard médiatique, comme la neige, recouvre tout.

    🕉️ Dans les traditions orientales : le vide contre la vanité

    Dans le bouddhisme zen ou le taoïsme, la gloire est un nuage passager.
    Le moine qui atteint la montagne ne se croit pas arrivé ; il sait que l’ascension continue à l’intérieur.
    Le wu wei (無為) — l’action sans intention — correspond à l’alpiniste qui grimpe sans chercher à être vu, comme l’arbre pousse sans témoin.

    Ainsi, la vraie grandeur n’est pas de conquérir un sommet, mais de disparaître dans le silence de la neige.

    🌄 Conclusion : la montagne comme miroir

    La recherche de notoriété en alpinisme n’est pas en soi condamnable ; elle est le reflet de notre humanité, de notre besoin d’être reconnu.
    Mais la montagne, implacable et pure, dénude les illusions :
    la gloire s’y efface vite, les traces disparaissent au vent,
    et ce qui demeure — c’est l’expérience intérieure.
    C’est là que réside la vraie grandeur : dans le silence après le sommet.

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